Calculer les mutations

Ce qui est yin, c’est ce qui deviendra yang et ce qui est yang, c’est ce qui deviendra yin.

Dans le monde des changements perpétuels, la nature des traits est toujours transitoire, ce n’est qu’une question de temps. Le tirage intercepte une information dont la fréquence d’apparition est périodique. Tout au long de son élaboration, la science des devins du Yi Jing a consisté à affiner la méthode de matérialisation des mutations.

Les os oraculaires

Lorsque l’on remonte le temps, au sources du Yi Jing, on se trouve en présence d’une écriture oraculaire composée de caractères archaïques ou primitifs gravés sur des omoplates de bovidés et sur des carapaces de tortues. Ces inscriptions sont dites de type « ossécaille ». Nous sommes environ 2000 ans avant notre ère.

Ces omoplates de bovidés provenaient des rites sacrificiels. Les os plats soumis longuement à la chaleur du feu se craquelaient. Les chamanes de cette Chine très ancienne en ont conclu que ces craquelures, puisqu’elles résultaient de leurs rituels, étaient la manifestation d’une réponse de l’Invisible dans le monde visible. Une manifestation sous la forme d’un langage inconnu, qui délivrait un message à l’attention des vivants. Ils ont alors commencé à annoter minutieusement ces os avec des informations qui constituaient l’actualité du moment autour du rituel qui venait d’avoir lieu.

Les carapaces de tortue

Là où la consultation oraculaire a fait un « bond technologique », c’est lorsque les devins ont élaboré un nouveau support dédié à cette pratique de la scapulomancie. Puisque l’Invisible était en capacité de leur transmettre un message sous la forme de craquelures spécifiques sur les omoplates des bovins sacrifiés tout au long du calendrier rituel, il devait être possible de déduire le sens de ces craquelures à partir des événements qui succédaient au rituel en notant les changement qui avaient lieu. Pour cela il leur fallait créer une interface qui soit plus rapide, plus précise et moins coûteuse pour collecter les informations qui apparaissent par le feu…

Les chamanes ont choisi la carapace ventrale des tortues d’eau, qui prospéraient à l’époque, comme support oraculaire car celles-ci pouvaient être polies et affinées de façon à se fendiller à des endroits prévus à cet effet pour former des craquelures de formes distinctes, similaires à celles qui apparaissaient sur les omoplates. Pour obtenir ces craquelures, ils soumettaient ce matériau naturel à la chaleur ardente d’une pointe de tison. CLAC ! PO ! La plastromancie était née.

De la tortue à l’achillée

Plus de 100 000 pièces divinatoires ont été découvertes et les craquelures y sont annotées d’environ 4 000 caractères dont la plupart n’ont toujours pas pu être traduits. On estime que la consultation du Yi Jing était alors tellement répandue qu’elle a été à l’origine de la disparition des tortues d’eau dans cette région 1000 ans plus tard. Cette raréfaction des tortues d’eau rendait la consultation de l’oracle de moins en moins accessible à l’ensemble de la population, de telle sorte qu’elle était réservée pour les grandes occasions, celles qui demandaient de prendre des décisions importantes.

Vers -800, Wu Xian, un « Chamane influent », mit au point le calcul des hexagrammes avec des baguettes d’achillée. La plante étant très répandue au bord des chemins, il était facile de s’en procurer 50 tiges et d’avoir ainsi toujours à portée de main de quoi obtenir une réponse de l’Invisible. Le principe de calcul avec ces baguettes repose sur l’addition du modulo de 4.

La méthode des baguettes

On commence par mettre de côté une baguette qui ne participera pas au tirage et en sera donc le témoin. Les 49 baguettes restantes sont séparée en 2 boisseaux. 1 baguette est extraite du 1er boisseau. -1- . Ensuite, on extrait les baguettes 4 par 4 du second boisseau, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que 1, 2, 3 ou 4 baguettes dans ce paquet. Puis on extrait les baguettes de la même façon du premier boisseau. A nouveau, il n’en restera qu’ 1, 2, 3 ou 4. La valeur du premier trait est issue de l’addition des 3 étapes de cette première séquence de manipulations.
En voici le résultat : 49/2 = 1 + mod4 + mod4 + baguettes extraites = 5 ou 9 + baguettes extraites.

On recommence la même manipulation avec les baguettes extraites, 2 fois de suite. Cette fois-ci le résultat ne pourra être que 4 ou 8 + baguettes extraites.
A l’issu des 18 manipulations, on aura :
5 ou 9 + 4 ou 8 + 4 ou 8 = 13 ou 17 ou 21 ou 25 + baguettes extraites.
La correspondance avec les traits est calculée ainsi :

49-13=36 baguettes extraites.
36/4=9= yang mutant -o-

49-17=32 baguettes extraites.
32/4=8= yin naissant – –

49-21=28 baguettes extraites.
28/4=7=yang naissant __

49-25=24 baguettes extraites.
24/4=6=yin mutant -x-

Avez-vous remarqué que dans ce mode de calcul, ce qui compte à la fin, c’est ce qu’on n’utilise pas ?

Des probabilités différentes

Ce qui est essentiel dans cette technique de tirage, c’est qu’elle induit des probabilités différentes d’obtenir chaque type de trait. Alors qu’il aurait été si facile de réaliser une procédure de tirage avec la même probabilité, les chamanes se sont évertués à recréer un phénomène de variation qui met en évidence une propension du yang à se transformer 3 fois plus fréquemment en yin que le yin ne se transforme en yang.

A partir de ce constat, on pourrait dire que ce qui est yin c’est ce qui deviendra lentement yang et ce qui est yang c’est ce qui deviendra rapidement yin.

Il y a une dynamique propre au mécanisme de calcul par les tiges d’achillée, que l’on perdra dans le « modernisme » du tirage avec 3 pièces de monnaie. Ce type de tirage devint populaire à partir de l’an 1000 et pratiqué par les devins qui exerçaient sur les marchés. Ceux-ci n’ont pas cherché à transposer la finesse de calcul des baguettes dans cette nouvelle méthode, mais tout simplement à s’affranchir du temps de manipulation pour diminuer le temps d’une consultation.

Le tirage informatique

Sur ce site, j’ai choisi de vous proposer un tirage automatique qui reproduit les probabilités des baguettes.
C’est un compromis entre la simplicité et les règles de l’art pour vous permettre de réaliser un tirage par vous même sans risque d’erreur de manipulation. Cependant, je vous encourage à compenser l’extrême rapidité avec laquelle vous obtenez votre tirage en préparant soigneusement votre question. L’introspection qui n’a pas le temps de se faire au moment du tirage par le long processus de manipulation des baguettes sera ainsi fait en amont, ce qui facilitera ensuite l’interprétation du tirage.

Ce qui me pose vraiment question, c’est pourquoi les devins de marchés n’ont-ils pas reproduit les probabilités du tirage des baguettes en utilisant 16 jetons ?
C’est ce que j’ai fait pour mes tirages personnels et les consultations en face à face. C’est rapide, ludique et très peu encombrant.